Serge Antoine (1927 Strasbourg- ) science Po, ENA Cour des comptes.
1963-1971 Chargé de mission à la Datar (Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale).

1954: la France, parmi mille autres chantiers, s'interroge sur la pertinence de sa carte administrative. Et pose un diagnostic sans détour: archaïque. Alors que s'amorce le triomphe de l'automobile, le département, conçu sous la Révolution pour permettre aux citoyens d'effectuer un aller-retour à leur chef-lieu en une journée de cheval, demeure l'alpha et l'oméga de l'organisation étatique. Aux yeux des jeunes élites de l'époque, habitées par l'idée de progrès, cette survivance n'est pas seulement anecdotique. Elle est aussi complice du pire crime qui soit dans un pays qui se débat encore dans les restrictions: l'inefficacité. Impossible de doter chacun des 90 départements des hommes compétents (hauts fonctionnaires, économistes, urbanistes, ingénieurs...) et des moyens nouveaux, comme la mécanographie (ancêtre de l'informatique), dont une nation moderne a besoin. Et cela d'autant plus que les années 1950 - on l'a oublié - marquent les grandes heures d'une notion désormais disparue, ou presque: la planification. Logements, routes, production agricole, électricité: tout est alors régi par le Plan, avec un grand P. Or, dans les limites étriquées des départements, toute planification territoriale est évidemment impossible. Aussi, en 1955, Edgar Faure, alors président du Conseil, décide-t-il de lancer des "programmes d'action régionale" où seront définis des objectifs à cinq ans et les moyens de les atteindre. Dans la foulée, le Commissariat général au Plan leur donne un cadre, celui des "régions de programme", en effectuant à la hâte un premier découpage et en y nommant des chargés de mission. "19 régions avaient été dessinées sur un coin de cheminée", se souvient Serge Antoine. Après quelques ajustements, leur nombre est porté à 22 par un arrêté du 28 novembre 1956. Mais, conçu dans la précipitation, l'exercice tourne rapidement à vide. Au nom de la neutralité de l'Etat, les chargés de mission, basés à Paris, n'ont pas le droit de prendre aucun contact avec le terrain! Et les fameux moyens se résument à un vague catalogue des décisions des différents ministères, sans réelle coordination. Il faut donc reprendre l'ouvrage.
Que l'on ne se méprenne pas. Ces "régions" ne sont, à l'époque, qu'un échelon de travail pour l'Etat. Un problème technique, pas politique. Rien à voir avec ce qu'elles sont devenues: des collectivités locales à part entière, dotées d'élus au suffrage universel, chargées de construire des lycées, de faire circuler des trains, et autorisées à lever l'impôt. Aussi, pour en définir plus sérieusement les contours, se contente-t-on de débusquer, en cette année 1956, un jeune énarque en début de carrière: un certain Serge Antoine, qui travaille alors à la Cour des comptes. Doté d'une tête bien faite, familier de ces questions (il est l'un des chargés de mission de 1955), il est aussi réputé se passionner pour les cartes et la géographie. Il va être servi.

Ce pourrait être un sujet d'oral de Sciences po. "Prenez une carte de France. Découpez-la intelligemment. Cerise sur le gâteau: vous n'avez que 28 ans et, évidemment, pas l'ombre d'un ordinateur. Exposez la manière dont vous allez procéder." C'est exactement la question qui a été posée à Serge Antoine. Et voici sa réponse. 

D'abord, on ne sort pas de l'ENA pour rien: de la mé-tho-de. Puisqu'il s'agit avant tout de permettre aux administrations de travailler à un échelon plus vaste, Serge Antoine sait que sa carte doit rester opérationnelle, c'est-à-dire être utilisable par les ministères. Aussi décide-t-il d'observer de très près leurs pratiques, incroyablement disparates. Car tous, confrontés à l'étroitesse des départements, ont déjà bricolé leurs propres découpages "supra-départementaux". Mais, évidemment, aucun ou presque ne coïncide... Un exemple? Selon l'Education nationale, la région "Nord" comprend les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme, de l'Aisne et des Ardennes. En revanche, pour la Sécurité sociale, l'Aisne n'en fait pas partie. Du côté de l'Agriculture, c'est encore pire. Il existe une première division pour les Eaux et Forêts, une autre pour le Génie rural, une troisième pour la protection des végétaux et ainsi de suite. Au total, quelque 80 divisions coexistent dans le plus grand désordre. Une sorte de caverne d'Ali Baba revisitée par Kafka et Courteline réunis. 

Nullement découragé, Serge Antoine décide de superposer sur un grand calque les découpages des principales administrations, chacun avec une couleur différente. "Je l'appliquais sur une fenêtre, pour travailler en transparence. Aline, ma femme, m'aidait. Heureusement, je suis droitier et elle, ambidextre", se souvient-il. 

Peu à peu, quelques régions apparaissent avec évidence, car toutes les administrations, ou presque, les dessinent de la même manière: la Bretagne, l'Alsace, l'Auvergne, etc. Pour d'autres, en revanche, un espace se distingue autour d'une grande ville, mais les contours en sont flous. Quant à certains départements, c'est le brouillard le plus complet. L'Indre, à elle seule, est associée à 12 départements différents dans des configurations variées selon le domaine envisagé! Il faut trouver autre chose. 

Serge Antoine se penche alors d'un peu plus près sur l'armature urbaine de la France. Où se situent les grandes villes et, surtout, quelles relations entretiennent-elles les unes avec les autres? Pour le savoir, il se plonge évidemment dans les données du recensement, mais aussi dans... celles du trafic téléphonique, un excellent révélateur. Nîmes téléphone davantage à Montpellier qu'à Marseille? Le Gard sera donc rattaché au Languedoc-Roussillon. Les communications de Périgueux sont plus nombreuses vers Bordeaux que vers Limoges? La Dordogne ira donc avec l'Aquitaine. Et ainsi de suite.  Pour élaborer sa carte, Serge Antoine se fixe trois grandes contraintes. Premièrement, le respect des limites départementales. "C'était l'échelon de base de toutes les administrations: on aurait semé une pagaille monstre si l'on avait voulu s'en affranchir." Ensuite, un seuil minimum de population, d'environ 1 million d'habitants. Enfin, il lui paraît impératif de limiter la force du rayonnement parisien. "L'influence de Paris s'exerçait sur environ un tiers de la France. C'était non seulement nuisible au pays, mais impraticable pour les administrations: personne ne peut prétendre gérer le territoire au plus près sur une telle échelle." C'est ainsi que certaines régions sont créées "au forceps". Il existe un espace entre Lille et Paris? On dessine la Picardie en associant l'Aisne, la Somme et l'Oise. Il en sera de même avec la région Centre. 

De "grandes régions", une nécessité évidente

Il se souvient des cas les plus difficiles: l'Indre et la Dordogne, on l'a dit, mais aussi la Vendée (Pays de la Loire ou Poitou-Charentes?), les Hautes-Alpes (Rhône-Alpes ou Provence-Alpes-Côte d'Azur-Corse?), l'Aveyron (Languedoc-Roussillon ou Midi-Pyrénées?), etc. Peu à peu, néanmoins, une carte de France en 21 régions apparaît. Bonne surprise, elle ressemble en partie à la carte des "régions de programme" de 1956. Serge Antoine y a toutefois apporté plusieurs ajustements: contre l'avis des ministères de la Défense et de l'Intérieur, et grâce à l'appui de Matignon, Midi-Pyrénées perd les Pyrénées-Orientales (rattachées au Languedoc-Roussillon) et les Basses-Pyrénées (actuelles Pyrénées-Atlantiques, qui rejoignent l'Aquitaine). Il regroupe également la région Alpes et la région Rhône, précédemment séparées.  En 1958, son travail est terminé. Il lui reste à le faire valider par le gouvernement de la toute fraîche Ve République. Il contacte l'actuel conseiller de Jacques Chirac, Jérôme Monod, alors membre du cabinet de Michel Debré à Matignon. Celui-ci parvient à convaincre son patron de renoncer à son ancien projet de division de la France en 47 départements. Bientôt, deux décrets, datés du 7 janvier 1959 et du 2 juin 1960 - que Serge Antoine prépare et défend lui-même devant le Conseil d'Etat - officialisent ce découpage et harmonisent les circonscriptions d'une trentaine de ministères. Un travail qui, vaille que vaille, se poursuivra pendant cinq ans, avec quelques exceptions de bon sens (les agences de l'eau) et d'inévitables administrations récalcitrantes - la Justice, l'Agriculture, les Finances... 

Près de cinquante ans plus tard, il est frappant de constater que cette carte, "sa" carte, n'a presque pas changé, à l'exception de la Corse, détachée de Provence-Alpes-Côte d'Azur en 1972. Cela ne veut pas dire qu'il n'éprouve aucun regret. "Si c'était à refaire, je ne ferais qu'une seule Normandie. De même, je rassemblerais l'Alsace, la Lorraine et Champagne-Ardenne; Provence-Alpes-Côte d'Azur et Languedoc-Roussillon, ou encore l'Aquitaine et Midi-Pyrénées, en sachant que le choix de la capitale, entre Bordeaux et Toulouse, serait cornélien..." 

Car la nécessité de "grandes régions", de taille européenne, lui est toujours apparue comme une évidence. Que ne les a-t-il dessinées à l'époque? "Vous commettez un anachronisme, sourit-il. Dans les années 1950, personne ne demandait cela. Il s'agissait simplement de permettre à l'Etat de réussir sa planification territoriale. Ma seule erreur a été de croire que je mettais en place un système évolutif. J'étais convaincu, naïvement, que l'on assisterait peu à peu à des fusions de régions. Hélas, j'attends encore." Et beaucoup avec lui. 
Article L'Express 15/03/2004

Les régions de programme et la géographie adminitrative française, Serge Antoine auditeur à la Cour des Comptes, La Revue administrative 76 , juillet/aout 1960, pages 357-362

En 1954, les comités régionaux d’expansion, d’initiative privée, sont officiellement agréés. Puis un décret du 30 juin 1955 crée vingt-et-une régions économiques de programme et un autre, du 7 janvier 1959, les transforme en circonscriptions d’action régionale, cadre obligatoire et unique de l’action décentralisée. Dans chacune d’elles, une conférence interdépartementale réunit les préfets, sous la présidence de l’un d’eux, appelé coordonnateur, pour émettre un avis sur la préparation des plans régionaux de développement, après avoir consulté les comités régionaux d’expansion.
Les décrets du 14 mars 1964 créent vingt-et-un préfets de Région.

La décentralisation fut au tout premier rang des préoccupations du Gouvernement de Pierre Mauroy, Premier ministre et maire de Lille, et de son ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, Gaston Defferre, maire de Marseille. L’article 72 de la Constitution énumère les catégories de collectivités territoriales existantes (communes, départements, territoires d’outre-mer) et précise que «toute autre catégorie de collectivité territoriale est créée par la loi». Les lois de décentralisation vont avoir pour effet de créer un nouvel échelon de collectivité locale : la Région.

Dans une tribune publiée dans la presse régionale du 3 juin 2014, le Président François Hollande présente son projet de réforme territoriale. Il propose un renforcement des Régions dont le nombre devrait passer de 22 à 14 en France métropolitaine et dont les responsabilités devraient s’accroître.

Le Premier ministre Manuel Valls annonce la présentation de deux projets de loi au Conseil des ministres du 18 juin : un premier texte devrait redéfinir la carte des Régions et reporter les élections régionales et départementales en novembre ou décembre 2015 (au lieu de mars 2015), le deuxième doit préciser les compétences des collectivités territoriales et des intercommunalités.

Le 17 décembre 2014, le Parlement adopte définitivement la nouvelle carte de France à 13 Régions en métropole.

Site https://regions-france.org/missions/

voir article wikipedia sur les régions françaises

Le décret no 70-18 du porte à 22 (vingt-deux) le nombre des régions métropolitaines en séparant la Corse de la Provence-Côte d'Azur.

La loi no 72-619 du portant création et organisation des régions crée, dans chaque circonscription d'action régionale, un établissement public : la région ou établissement public régional. Chaque région est administrée par un conseil régional assisté d'un comité économique et social. La région est investie de peu de pouvoirs. D'autre part, le préfet de région est chargé de l'instruction des affaires et de l'exécution des délibérations du conseil régional.

Présidents du Conseil général de région PACA
1974-1981: Gaston Deferre ps
1981-1986: Michel Pezet ps
1986-1998: Jean Claude Gaudin udf
1998-2015: Michel Vauzelle ps
2015-2017: Christian Estrozi lr
2017-  : Renaud Muselier lr

Pour les drapeaux utilisés, voir Provence

Précurseurs: les préfets régionaux du gouvernement de Vichy

Par la loi du 19 avril 1941, Philippe Pétain, chef de l’État français, institue dix-sept préfets régionaux avec mission de relayer l'action du gouvernement et de surveiller les administrations départementales.
Les sièges des préfectures régionales sont fixés par décret en « zone libre » à Lyon, Marseille, Montpellier, Clermont-Ferrand, Toulouse et Limoges ; en « zone occupée », à Angers, Dijon, Orléans, Rennes, Rouen, Poitiers, Bordeaux ; en « zone interdite », à Nancy, Laon, Châlons-sur-Marne et à Lille,.

À la Libération, le général de Gaulle, pragmatique, conserve les préfets régionaux mais les rebaptise d'une expression à consonance plus révolutionnaire : Commissaires de la République. La loi du 21 mars 1948 les remplace par des Inspecteurs généraux de l'administration en mission extraordinaire, plus simplement appelés Igames ! Il ne s'agit encore que de faciliter les rouages administratifs.

Mais dès le début de la IVe République se fait jour le besoin d'aménager le territoire. En 1947, Jean-François Gravier dénonce l'hypertrophie parisienne dans un livre à succès : Paris et le désert français. Le président du Conseil Edgar Faure décide d'y remédier en 1955 en lançant des programmes d'action régionale avec des objectifs à cinq ans.

Un jeune énarque, Serge Antoine, est chargé d'en dessiner les contours en prenant en compte les solidarités régionales.
(...)

Celle-ci devient une réalité sous la présidence de François Mitterrand avec la loi Deferre du 2 mars 1982 qui transforme les régions en collectivités territoriales à l'égal des départements et des communes, avec une assemblée élue, un président exécutif élu par cette même assemblée et le droit de lever l'impôt.

Les nouvelles Régions se voient doter au fil des ans d'attributions restreintes et exclusives : les transports ferroviaires régionaux, les lycées et universités, la formation professionnelle...

Cela ne les empêche pas d'intervenir aussi dans les domaines les plus variés, souvent en concurrence avec les services de l'État et les autres collectivités territoriales (communes et départements) : actions culturelles et économiques, financement des associations, environnement etc.

Leur budget représente au total moins d'un dixième du budget alloué à l'ensemble des collectivités locales. Rien à voir avec le très haut niveau d'autonomie des Länder allemands ou encore des cantons suisses.

Source: https://www.herodote.net/19_avril_1941-evenement-19410419.phpfootball