Les devises
En 1405, nous sommes dans la guerre de 100 ans au moment le plus critique pour les Français.
Le roi de France Charles VI est fou. Le pouvoir est tenu par le conseil de régence. Celui ci est composé de la femme du roi Isabeau de Bavière, de son frère Louis d'Orléans, de ses oncles Berri, Anjou, Bourbon et de son cousin Bourgogne.
Remarquons que tous ces seigneurs ont des armoiries.

Jean Sans Peur de Bourgogne Louis d'Orléans Jean de Berry Louis  d'Anjou Louis le Bon  de Bourbon


Mais les armoiries à la fin du XIVe siècle, n'arrivent pas à suffisement distinguer les seigneurs entre eux. Ils prennent donc des devises.
La devise est un emblème individuel qui est choisi librement, qui n'a ni règles de composition, ni règle de transmission établie.

Le système héraldique traditionnel, né vers 1150, est déjà sclérosé par sa codification stricte. Les armoiries sont liées à la parenté et se reçoivent en héritage.
Apparues vers 1350 en Angleterre (badges), les devises sont des figures stylisées souvent associée à un mot ou une phrase.
Elles permettent de dévoiler les aspirations, les projets, les amours, les idées chères des seigneurs qui les utilisent.

Charles VI aura plusieurs devises : le cerf ailé, le paon, la cosse de genêt, le lion, la couleur verte, et "en bien" comme formule.

Cerf ailé de Charles VI

Pour Isabeau de Bavière, c'est la fleur de mouron.

Livre d'heure d'Isabeau

Le duc de Berry s'attribue l'ours noir et le cygne.

Contre-sceau de Jean de Berry

Louis d'Orléans choisit  le loup, l'arbalète et les feuilles d'ortie. La feuille d’ortie avait été choisie en signe de deuil, pour marquer la prise du duc Louis par les Anglais (il restera 25 ans prisonnier en Angleterre). En 1394, il crée l'Ordre du porc-épic et du camail, avec comme sentence "Cominus et eminus" (de près et de loin). Le porc-épic avait la réputation d'utiliser ses piquants pour se défendre et...pour attaquer, en les lançant comme des viretons d'arbalète.

Le porc-épic fut aussi sa devise du roi Louis XII, petit fils de Louis d'Orléans.

Jean sans Peur prend la feuille de houblon.


Les membres du conseil cherchent surtout à s'enrichir individuellement mais deux particulièrement cherchent le pouvoir. Il s'agit de Louis d'Orléans et de Jean Sans Peur, duc de Bourgogne. Du même age, ils se détestent et on parle même d'histoire de tromperies conjugales.

En 1405, la lutte pour le pouvoir se décline dans une lutte des devises. Louis d'Orléans prend comme devise un bâton noueux avec la sentence "Je l'ennuie".

Collier aux batons noueux

Jean Sans Peur répond en prenant un rabot et la phrase "Je l’aurai".

Jean Sans Peur en costume avec des rabots.

Le 23 novembre 1407 le duc de Bourgogne fait assassiner le duc d'Orléans. Le baton noueux est plané.

Les devises connurent une diffusion telle au XVe et au XVIe siècles aux dépens de l'héraldique que les héraldistes s'étonnent encore du fait qu'elles aient finalement été éclipsées par la formule qu'elles étaient en voie de supplanter. Loin de se limiter à la société des princes, les devises se répandirent en effet largement dans l'aristocratie et la noblesse. Avec les guerres d'Italie et les modes venues d'outre-monts, elle gagnèrent encore en faveur du fait de la vogue qu'elles connaissaient dans la péninsule sous la forme de l'imprese.

De façon assez inattendue, néanmoins, ces formules devinrent moins dynamiques dans le cours du XVIe siècle, non pas dans leur diffusion qui resta très large, mais dans leur fixité.
Au XVe siècle le fusil et la pierre à feu, devinrent la seule image utilisée dans les devises des ducs de Bourgogne.

Le 10 janvier 1430, Philippe le Bon, duc de Bourgogne, fonde à Bruges l’ordre de la Toison d’Or, dont l’insigne est un bélier suspendu à un collier.  La chaîne se compose d’une motif formé de briquets en forme de double B (emblème de Philippe le Bon, en signe de sa souveraineté sur les deux Bourgognes) et de pierres à feu alternées . D’où la fière devise de l’ordre  :

Ante Ferit Quam Flamma Micet (Il frappe avant que la flamme ne brille)


 Avec Charles Quint, arrière-petit-fils du Téméraire, la chose devint encore plus flagrante, puisque sa devise personnelle, les deux Colonnes d'Hercule avec les mots « Plus oultre », certes en rupture avec cette fixation des devises aux briquet, devint pour ainsi dire dynastique, voire nationale.


Cette fixation explique sans doute l'évolution du terme devise, qui ne désigna après le XVIIe siècle plus que la sentence, sans plus tenir compte de la figure dont l'usage périclita souvent, faute de son utilité première, celle d'ajouter aux armes du lignage un symbole plus personnel.

voir aussi: http://www.heraldica.org/topics/imprese.htm